Rituel du passage du Tropique du Cancer:

Publié le 16/03/2016 à 14:25 par histoirecotemie Tags : roman mer annonce nuit cheval
Rituel du passage du Tropique du Cancer:

 

30 juin 1816 (15em jour de navigation)

Brédif, l’ingénieur des Mines note : « Le vent pendant la nuit a été très fort, la mer très grosse. Les sabords sont fermés. Cela n’empêche pas que la mer en se précipitant avec force contre eux n’entre par le joint ». Il procède aux mesures qu’il effectue quotidiennement et relève : « vitesse 9 nœuds en direction du sud-sud-ouest, température de la mer : seize degrés cinq ».

Plus tard, au court de la même journée, il note encore : « Le temps est couvert, le soleil n’apparait pas ou très pale et très rarement. Le vent est toujours fort, on a diminué de beaucoup les voiles. La mer est grosse et très creuse. Le bâtiment penche fortement à tribord et sur l’avant. On descend les vergues des perroquets. L’Echo suit d’assez près, il balance très fortement sur les flots. On dirait qu’il va se coucher sur l’eau pour ne plus se relever, mais une autre vague le renvoie de l’autre coté ».

Puis il nous décrit la burlesque traditionnelle cérémonie de l’arrivée à bord du Bonhomme Tropique, dans la nuit, que viennent d’annoncer les bruits de chaines, un cor de chasse et des coups de fouets dans la grande hune : « De cette même grande hune, on lance des fayots (haricots) sur les passagers. Après un quart d’heure de ce charivari. Enfin on l’aperçoit descendre par la grosse corde qui va du mat de misaine au grand mat. Le charivari continue ». Un matelot déguisé surgit. L’homme est couvert d’oripeaux et porte une couronne de carton. Au milieu de la corde il adresse d’une voix cassée la parole au commandant. Les questions rituelles sont ponctuées d’un roulement de tambour :

-Où va la frégate ?

-A Saint-Louis du Sénégal.

-Son nom ?

-La Méduse, frégate du roi.

-Celui de son commandant ?

-Hugues du Roy de Chaumareys.

-Comment se porte-t-il ?

-Fort bien ma foi !

-Vous êtes avisés que Néptune en personne viendra vous visiter demain à dix heures.

-Je verrai avec plaisir ce vieil ami. Il y’a longtemps que j’en brulais d’envie ! Je l’attends donc demain matin à dix heures.

« En attendant, le Bonhomme annonce qu’il va lui envoyer de suite son postillon avec un paquet. Bientôt le postillon, habillé avec des signaux, arrive monté sur un autre matelot qui fait le cheval et dont les harnais sont faits avec d’autres signaux (pavillons de messagerie visuelle codée de la marine). Il remet son paquet au commandant, fait quelques betises et cette première cérémonie se termine là ».

Brédif est allé se coucher juste après ce rituel que font les marins pour annoncer le passage de la ligne du tropique du Cancer car il ne parle pas du deuxième début d’incendie du four du boulanger qui est totalement défait cette fois pour être totalement reconstruit.

Pourtant vers deux heures du matin, il est réveillé par un officier pour qu’il puisse voir « la mer enflammée ». Le spectacle qui tient du phénomène enchante l’ingénieur et poète à ces heures. Il note : « Les vagues brisées en écume présentent de la lumière. Le sillage du vaisseau est très lumineux. Les voiles du vaisseau paraissent éclairées comme si une douzaine de flambeaux avaient été allumées dessous. Au milieu des flots écumeux qui environnent le vaisseau, on distingue toujours ces petites flammes brillantes qui s’échappent de la mer. Elles doivent avoir une autre cause que la lumière générale précédente… ! »  

Richefort "Pilote imposteur" à bord de la Méduse !

Publié le 07/03/2016 à 14:48 par histoirecotemie Tags : voyage homme roman chez société fleurs livre
Richefort "Pilote imposteur" à bord de la Méduse !

Nous allons lire à loupe les écrits des passagers témoins du naufrage :

 

Charlotte Picard a écrit :

« Le commandant Lachaumareys (sic), ignorant lui-même la navigation, était sans doute bien aise d’avoir quelqu’un qui se chargea de faire sa besogne. Mais il faut le dire, à la face de L’Europe, cette confiance aveugle et inepte fut la cause unique de la perte de la Méduse, ainsi que de toutes les horreurs et les crimes qui en ont été la suite. Sur les trois heures du soir, les officiers qui étaient allés dans la matinée reviennent à bord chargés de fruits, de légumes et de fleurs. Ils plaisantèrent beaucoup sur les manœuvres que l’on avait faites pendant leur absence, ce qui ne plut pas beaucoup au capitaine qui se flattait d’avoir rencontré dans Richefort un bon et habile marin, c’est sa propre expression. A quatre heures de l’après-midi, on fit route dans la partie du sud. M. Richefort alors rayonnant de gloire d’avoir pu comme il le disait sauver la Méduse d’un naufrage certain, continuait de donner ses précieux conseils au capitaine, en lui persuadant qu’il avait été employé autrefois à explorer toute la cote de l’Afrique, et qu’il connaissait parfaitement la cote et le banc d’Arguin ».

En dehors de Charlotte, les autres témoins n’évoquent pas ce curieux pilote qu’est Richefort. Rang n’en parle pas, ni Dupont, ni Mollien, ni Brédif…

Toutefois d’Anglas parle d’un «pilote imposteur», et s’il ne le nomme pas, il n’en fait pas moins un énigmatique bouc émissaire : « Le capitaine s’était abandonné aux conseils ou plutôt au commandement d’un certain étranger qui décidant sur tout, n’ayant de lumière sur rien, avait su lui fasciner l’esprit par ses jactances continuelles ».

Chez Corréard le géographe, Richefort qui est un collègue car membre de la « société philantropique » est évoqué différemment dans les diverses éditions de son livre. Dans l’édition de 1817, il le nomme par trois périphrases : « Celui qui depuis quelques jours guidait notre navire ». « Celui qui depuis jours donnait des conseils au commandant sur la route à tenir ». Et enfin « Celui qui, comme nous l’avons déjà dit (sic), depuis plusieurs jours dirigeait la marche du navire ». « Nous ignorons les raisons qui engagèrent le commandant de la frégate à accorder sa confiance à un homme étranger à l’état-major. S’était un ex-officier auxiliaire de marine qui sortait des prisons d’Angleterre, où il était depuis dix ans. Il n’y avait pas certainement pas acquis des connaissances supérieures à celles des officiers du bord, que cette marque de déférence dut certainement blesser ».

 

Pourquoi Chaumareys s’était-il entiché de Richefort ?

Sur le rôle d’équipage du navire sont portées les inscriptions suivantes :

« Richefort, Antoine, ancien officier de marine, né à Bordeau le 17 septembre 1774. En marge de son nom on peut déchiffrer la note suivante : « a droit à un secours de trois francs par jour pour lui tenir lieu de nourriture du jour de son arrivée à Rochefort jusqu’à celui de son embarquement (suivant lettre du ministre du 18 mai 1816). Cette lettre n’a rien de très banal si l’on en trouvait de semblable face à d’autres noms. Or ce n’est pas le cas. Parmi tous les passagers inscrits sur ce registre, Richefort est bien le seul (pour une raison qui reste inconnue) à jouir du privilège insolite de prendre des repas subventionnés par un ministre ! Richefort avait donc de sérieux « pistons ». Le capitaine de Chaumareys ne pouvait qu’être informé de l’importance pour le voyage des compétences qui donnent autant de privilèges à ce «Pilote».

Escale exotique....à Santa Cruz de Ténérife

Publié le 02/03/2016 à 13:05 par histoirecotemie Tags : pouvoir monde roman chez france amis mode nuit femmes livre livres
Escale exotique....à Santa Cruz de Ténérife

Nuit du 27 au 28 : Début d'incendie dans l'entrepont de la frégate vite maitrisé et ayant pour source le four du boulanger Canguillien, des briques calcinées de la Méduse sont trouvées en 1981 par Yves Blot lors de ses plongées à la recherche de l'épave de la frégate, sur le banc d'Arguin.

28 Juin 1816 (14em jour de navigation) :

Gaspar Mollien (Fils de François-Nicolas Mollien, ministre du trésor de L’Empire en 1806 et élevé au titre de comte en 1808) actuellement simple commis de marine et personne à bord ne se doutant qu’il sera plus tard une sommité mondiale en tant qu’explorateur scientifique écrit :

« Ce matin là, nous reconnûmes Sainte Croix de Ténériffe. Les officiers de la frégate allèrent à terre. Nous louvoyâmes devant le port en les attendant et nous perdîmes ainsi une des plus belles journées dont nous eûmes joui jusqu’à lors ». Notre jeune témoin sent une déception voire une amertume de ne pouvoir aller visiter la ville…

Seuls vont monter dans l’embarcation qui a été mise à l’eau pour aller en ville, Rang l’aspirant, Lapeyrère l’enseigne de vaisseau, Follet le chirurgien major et Reynaud le second «imposé» qui a mis dans sa poche une lettre de Brédif, adressée à sa chère sœur et dont l’adresse a été transcrite en espagnol.

Rang nous livre les détails de leur escale exotique (nous les marins nous sommes tous pareils) :

« Nous eûmes même plusieurs fois l’occasion de remarquer aux fenêtres de petites figures qui nous donnèrent lieu de croire que, chez les Espagnols, les femmes sont tout au moins aussi curieuses qu’en France. On sait que, de tout temps les dames espagnoles ont eu un certain penchant pour les militaires français ». Il ira loin ce garçon, s’il fait carrière dans la marine.

Rang note que le gouverneur de l’ile, Don Pedro Rodriguez a vécu en France dont il parle très bien la langue. Il aime bien le roi Louis XVIII dont il a accroché un portrait dans son bureau. Il aime les livres français. Surtout de Chateaubriand, pour lequel tous les Espagnols ont autant de vénération qu’ils ont de haine pour Voltaire. Après la visite de courtoisie au gouverneur Rodriguez, il fallait acheter des filtres faits avec les pierres volcaniques de l’ile, des fruits et des vins pour la table du commandant. Je n’ai jamais pu expliquer pourquoi tout le monde aime la France. Des amis illettrés me disent à cause du parfum…de leurs vins…de leur gastronomie… de la mode qu’ils créeent. Ceux qui en connaissent la langue ou le pays me confient que c’est à cause de leurs écrivains ou de leurs intellectuels qui font l’opinion mondiale. Toujours est-il que j’ai vu la France gagner la coupe du monde de football et tout le monde était content…même leurs adversaires. J’ai vu la France endeuillée par des attaques terroristes et tout le monde était triste plus que pour d’autres événements plus dramatiques qui ont endeuillé d’autres nations dans le monde…

 

La Méduse ce jour là, a été manœuvrée, dans la rade, par M.Richefort sous l’œil approbateur de son capitaine de Chaumareys. Il parait même que le l’équipage et les officiers ont trouvé cela honteux. Cette intrusion me laisse perplexe et conforte mon sentiment que ce Richefort est recommandé à de Chaumareys, par l’hiérarchie, pour l’aider à louvoyer près de la cote… Personne ne peut laisser un imposteur manœuvrer la frégate du roi sauf s’il a de bonnes raisons pour le laisser faire !!!    

Madère... paysages époustouflants

Publié le 01/03/2016 à 13:17 par histoirecotemie Tags : richesse monde homme roman mer france belle livres
Madère... paysages époustouflants

27 Juin (12eme jour de navigation) :

 

Les écrits que nous laissent nos témoins passagers de la Méduse, m’étonnent par la réaction commune qu’ils ont en décrivant les iles Madère. J’avais pensé que la réaction devant tant de couleurs était surtout forte pour un homme du désert, mais voici que des ressortissants de la belle France ressentent la même fascination devant les paysages époustouflants de ces iles. Les hommes après une dizaine de jours au grand large, se laissent donc surprendre par un nostalgique appel de notre mère, la terre. Ils découvrent alors que les paysages insulaires offrent des spectacles à couper le souffle…

L’ingénieur Brédif, curieux insatiable, est sur pied depuis les cinq heures du matin car il veut être parmi les premiers à découvrir Madère dont on dit tant de merveilles.

Pour l’instant la Méduse navigue entre les iles désertes et l’ile de Porto Santo. Madère loin à l’horizon, se confond encore avec les nuages.

Vers onze heures du matin, malgré un vent très fort, Brédif grimpe à la grande hune pour examiner l’ile dont on s’approche lentement. Vers midi tout le monde se déride à l’aspect riant des terres que l’on voit avec netteté, au point qu’il est possible de distinguer les maisons.

Laissons trois de nos témoins décrire leurs impressions, chacun à sa manière :

« Lorsque nous fumes vis-à-vis le port de Madère, notre capitaine de frégate, qui nous avoit toujours promis qu’il y toucheroit et qu’il y enverroit une chaloupe, changea de suite de projet et fit courrir au large, nous y allâmes donc point, mais nous passames si près des terres que nous pouvions distinguer facilement le monde qui s’y promenoit. L’ile nous parut très bien habitée et très bien cultivée ». (Coup de pattes à l’adresse de Chaumareys et imparfait signés capitaine Dupont de la coloniale).

« Pendant assez de temps nous longeâmes l’ile à petite distance. Nous passâmes devant les principales villes, Funchal et Ponta do Sol. Madère se présente en amphithéâtre. Les maisons de campagne qui la couvrent paraissent d’un très bien gout, et lui donnent un aspect charmant. Toutes ces habitations délicieuses sont entourées de superbes jardins et de champs couverts d’orangers et de citronniers qui, lorsque les vents viennent de terre, rependent jusqu’à une demi-lieue en pleine mer, l’odeur la plus agréable. Les coteaux sont recouverts de vignes bordées de bananiers : Tout enfin est réuni pour rendre Madère une des plus belles iles d’Afrique (Sic). Son sol n’est qu’un sable végétal mêlé d’une cendre qui lui donne une force étonnante. Il ne présente partout qu’une terre volcanisée dont la couleur est celle qui longtemps la consuma ». (Détails empruntés aux livres de géographie par un futur colon agricole, Corréard).

« Sur les flancs de Madère et dans les petits vallons, on distingue les arbres verts. Ce sont sans doute des orangers et des citronniers. Ces montagnes me ramènent involontairement vers mes Alpes.

A midi, on est près de l’ile. On peut en admirer la culture et la richesse. De jolies maisons éparses embellissent ce tableau. De petits cubes gris en assez grand nombre sont autant de cases. J’avais le plus vif désir d’aller à terre. J’en avais sollicité vainement la permission près du commandant qui ne voulait laisser descendre aucun passager. J’aurais bien voulu y faire une observation barométrique au niveau de la mer. Il fallut renoncer à tout cela. Le commandant renonçât aussi à envoyer une embarcation pour acheter des rafraichissements. Les vents contraires nous empêchaient d’approcher de la ville de Funchal où on devait mettre un canot en mer. Il aurait fallu perdre trop de temps. On prit le parti, à une heure, de continuer notre route en laissant Madère et tout son beau pays ». (Signé Brédif, ingénieur des Mines).    

 

Vers six heures du soir, on dépasse les iles. Les hommes de la coloniale et les marins de la Méduse, le cœur serré, restés aux bastingages, deux heures après, regardent à l’horizon, sur tribord, le soleil qui se couche et qui semble être un globe de feu qui s’enfonce dans la mer.

 

Navigation à l'estime ... Point sur fausse carte.

Publié le 29/02/2016 à 13:32 par histoirecotemie Tags : roman mer nuit
Navigation à l'estime ... Point sur fausse carte.

26 juin 1816 (11 eme jour de navigation) :

 

L’ingénieur des Mines note : « A quatre heures du matin, je crois entendre : « terre, terre ». Je m’imagine qu’on descend une embarcation à la mer pour aller à Madère. Je me lève espérant me glisser dans le bateau. Je m’étais trompé. Plusieurs passagers inquiets de ces roches étaient sur le pont. On était encore incertains d’avoir passé les Huit-Roches. Cependant d’après les déterminations du point, on pense les avoir dépassées. Le temps est couvert. Il reste ainsi jusqu’à onze heures du matin.

A midi, on cherche à apercevoir la terre. Ce n’est qu’à deux heures et demie qu’on l’aperçoit. On prend du moins pour elle un nuage plus net que les autres et qui règne au dessous de l’horizon. Je pense aussi que c’est la terre.

On s’était trompé. Les nuages que l’on prenait pour la terre étaient de véritables nuages. Il est plus de huit heures. On ne voit plus rien. On craint d’être plus dans l’erreur qu’on ne le pensait. Par prudence on ploie les principales voiles pour attendre L’Echo qu’on aperçoit encore du haut des hunes ».

Plus tard l’ingénieur Brédif notera : « C’est à la tombée de la nuit, que l’on aperçoit enfin la terre pour de bon, mais comme on juge imprudent de se diriger sur elle dans l’obscurité, on vire de bord ‘pour retourner sur le chemin qu’on vient de faire’ ».

 

La Route donc que la Méduse a tracé était la route classique et la plus pratiquée à l’époque. Le commandant Chaumareys a fait Route : Ile d’Aix-Cap Finisterre, puis Cap Finistère-Madère. Ses officiers naviguent maintenant à l’estime. Maudet et Espiaux en confrontant leur estime, leurs calculs ont donné seize lieux d’écart. Mais ils ne peuvent manquer de voir l’archipel droit devant.

A ce sujet voici ce qu’écrit Rang, l’aspirant de la Méduse : « Nous présumâmes alors, et c’est avec raison, que les courants qui règnent dans cette partie de l’Océan et tendent tous vers le détroit de Gibraltar nous avaient jetés dans l’est comme on le voit journellement ».

Corréard, le géographe, n’y vas pas de main morte et insinue qu’il y’a une erreur de longitude de trente lieux. Mais cette erreur supposée est tout à fait contestable.

 

En regardant de plus près cette navigation à l’estime, on doit se rappeler que les cartes de L’hydrographie française de Bellin étaient inexactes. C’est pourquoi on avait remis au chef de division de Chaumareys et aux capitaines des vaisseaux qui l’accompagnent quatre exemplaires de La Description Nautique de la Cote d’Afrique où l’on pouvait lire que les susdites cartes « sont tellement défectueuses qu’il serait dangereux de s’y fier ».

Faute de "boite noire" de la Méduse... les spécialistes

Publié le 26/02/2016 à 14:03 par histoirecotemie Tags : histoire roman france livres pouvoir fantaisie
Faute de "boite noire" de la Méduse... les spécialistes

24 Juin 1816 (huitième jour de navigation) :

Le capitaine Dupont de la Coloniale a attendu ce jour pour noter : « La gabare la Loire et le brick L’Argus sont définitivement perdus de vue ».

Tous les autres témoins ont du écrire : R.A.S (rien à signaler).

Nous allons risquer, pour planter le décor, tout simplement : "Ciel et Océan royalement bleus"…

25 juin (neuvième jour de navigation) :

L’ingénieur Brédif note : « Sur les une heure, on signale un vaisseau à deux mats retournant en France. M. le commandant désire lui parler. On manœuvre en conséquence et bientôt les vaisseaux passent l’un près de l’autre. Les deux commandants se parlent avec un porte-voix. Le deux-mâts était un brick nommé l’Amazone. Il revenait de la Martinique et allait à Nantes. Il avait reconnu les Açores ».

L’aspirant Rang note : « Nous eûmes l’occasion, pendant cette traversée de héler un brick français l’Amazone venant de la Martinique et faisant voile pour Marseille ».

Les témoignages divergent : Nantes ou Marseille ?

A qui faire confiance ? A l’officier stagiaire de marine ? ou à l’ingénieur des Mines ?

La Presse à sensation en premier et les historiens par la suite, faute de pouvoir faire autrement, vont prendre à chaud les narrations des témoins du naufrage de la Méduse tel qu’ils les reçoivent. Cependant, beaucoup plus tard, des chercheurs passionnés et soucieux de la véracité du moindre détails vont pouvoir mettre en lumière les douteuses façons dont s’écrivent les chroniques des témoins que nous citons, dresser leurs portraits, analyser les buts ou finalités cherchés par leurs textes et reconstituer leur contexte historique ou environnemental. Aussi faudra-t-il se méfier des témoignages des survivants qui n'étaient pas sur le radeau et de ceux des naufragés qui étaient sur le radeau et qui ne se privaient pas de faire des récits de seconde main "empruntés" aux autres compagnons d'infortune qui ont débarqué sur la cote des Maures. Je vais donc à travers cette enquete prendre les témoignages des naufragés, exclusivement, sur le lieu où ils étaient effectivement passés et où ils ont eu à vivre la scene ou le fait qu'ils décrivent...

 

 

Un homme à la mer !!! Par-dessus bord la Méduse :

Publié le 25/02/2016 à 14:41 par histoirecotemie Tags : fond homme roman mer france
Un homme à la mer !!! Par-dessus bord la Méduse :

23 Juin 1816 (Septième jour de navigation).

De la Méduse. Une seule voile en vue L’Echo capitaine de Vénancourt. Son équipage l’a entendu parler hier soir, après la chute en mer de son marin. Il a mal dormi. Ses ordres deviennent des jurons. Comment assurez la sécurité de ses jeunes marins présomptueux et maladroits ? Les vaisseaux survolent les vagues. La corvette du roi doit garder le rythme de la frégate du roi !

A bord de la Méduse, ce matin, l’ingénieur Brédif ne peut remplir le seau qu’il jette dans le sillage de la Méduse. Il doit impérativement trouver la parade pour effectuer la prise de température de l’eau de mer qu’il a relevée ponctuellement jusqu’à aujourd’hui. Comment faire avec cette muraille de chêne lancée à toute vitesse dans un bouillonnement d’écume ? Il note : «Ce matin je suis monté sur le mat de beaupré… Il est beau de voir le vaisseau repousser devant lui la mer écumante». Neuf nœuds ? Dix nœuds ?

Dupont nous laisse une note très brève : «Même continuation de temps et de route».

Sept heures du soir. Depuis une heure, les passagers se pressent à la poupe et le long des bastingages de préférence là où il y’a des dames. Le spectacle en contrebas est étonnant. De petits dauphins dansent sans effort apparent autour de la frégate qui file. Soudain un cri retentit à l’avant : « Un homme à la mer ! ».

Accident courant, trop courant à bord des navires surchargés. Rares sont les grandes traversées au cours desquelles il n’arrive pas. Cette fois, c’est un mousse qui est tombé à l’eau par un des sabords, à la hauteur de la cuisine, en lavant son linge. L’adolescent a pu saisir dans sa chute un filin qui pend le long de la coque. Il s’y cramponne de toutes ses forces. Il est sauvé ! Chaudière, l’officier de quart a été averti. Inutile d’entamer la manœuvre classique. L’allure est maintenue. La frégate fonce toujours. En bas le mousse lutte. Son corps, tous muscles bandés, traine dans l’eau qui défile avec force. S’il lâchait prise… Quelqu’un vient de le reconnaitre. C’est Jean Delaye, un gamin de quinze ans. La scène a provoqué une bousculade le long du bastingage bâbord. Les passagers ne veulent rien perdre de la tragédie qui se joue à leurs pieds. Ils gênent les matelots qui tentent d’organiser les secours. Plusieurs marins se sont attachés un filin sous les bras. L’un deux s’est fait haler le long de la paroi de bois pour atteindre l’adolescent qui lutte en contrebas. Il y est parvenu. Il a pu saisir un bras du mousse, puis a du lâcher. Rien à faire, la frégate va trop vite.

Epuisé par le torrent qui lui arrache les doigts, incapable de résister plus longtemps, le mousse a lâché prise. Il défile rapidement le long de la frégate qui court toujours. Quelqu’un lui a jeté une bouée. Il semble l’avoir vue. L’adolescent est bon nageur. Puis il a disparu dans le sillage qui ondule sur la houle. L’officier de quart a enfin mis la barre en dessous, un peu tard sans doute car on a cru trop vite et trop longtemps que le mousse était hors de danger. Dans la confusion de la manœuvre, les voiles ont pris violemment un contre, sans dommage apparent pour le gréement. Une chance. La yole, la plus légère des embarcations à bord, a été mise à l’eau immédiatement. Trois rameurs s’éloignent. Du pont de la frégate, on les voit disparaitre à leur tour dans la houle. La Méduse est en panne, en travers du vent. Les minutes passent. Une heure…bientôt deux. La yole réapparait. Elle revient au vent de la frégate. On la hisse à bord. Les trois rameurs n’ont rien vu, ni mousse, ni bouée.

L’Echo est à présent à portée de voix. Il n’a pas compris les signaux de son chef parce qu’il fallait les accompagner d’un coup de canon !

M… oui… Les canons de la Méduse n’étaient pas parés. La frégate est en mission civile ! La poudre est rangée au fond du magasin.

Vénancourt a porté l’incident sur son journal : « Un homme à la mer ! Par dessus bord la Méduse». On ne sait jamais s'il aura à répondre de la chute d'hier...

Cet accident semble de si peu d’importance qu’il n’a même pas été évoqué au procès de Chaumareys. Chacun sait qu’il est d’usage en France de reconnaitre à tout officier le «droit» à un certain pourcentage de pertes en matériel et en hommes…mais les raisons qui ont rendu impossible, le 23 juin, le sauvetage de Jean Delaye s’apparentent à celles qui rendront humainement impossible le sauvetage de tous les passagers de la Méduse lors de son évacuation…

Quelques passagers verront dans cet incident un mauvais présage, mais L'Echo qui a eu à connaitre pareil évènement est bien arrivé à bon port.

Un homme à la mer !!! Par dessus bord L'Echo

Publié le 24/02/2016 à 15:21 par histoirecotemie Tags : roman homme chez mer fille france
Un homme à la mer !!! Par dessus bord L'Echo

 

22 juin (sixième jour de navigation) :

L’ingénieur Brédif note : «Le temps est doux, le ciel un peu couvert, le soleil légèrement caché. La mer est un peu agitée, le roulis toujours assez fort, le vent arrière, la mer est toujours bleue». C’en est fait, Brédif a pris le pli et ses notes journalières commencent régulièrement par un bulletin météo. Il se trompe cependant sur l’événement «homme à la mer» par dessus bord L’Echo qu’il situe au 21 juin.

Mais le capitaine Dupont plus réaliste situe le fait au 22 juin et le rapporte en oraison funèbre assez expéditive : «La corvette L’Echo nous signala qu’elle avoit perdu un homme qui étoit tombé à la mer. Elle mit de suite une chaloupe à l’eau, mais toutes ces recherches furent inutiles, l’homme avoit disparu. Ce facheux incident nous occasionna deux heures de retard».

Nulle trace de cet incident chez nos témoins de la Méduse. Ni chez Rang, l’élève officier de marine, ni chez le lieutenant de la coloniale d’Anglas, ni le géographe Corréard, ni Charlotte notre future écrivaine, et pourtant la Méduse en eu connaissance par signaux. La raison en est que l’événement se passa très matinalement ?

A l’aube l’officier de quart sur L’Echo fait réveiller Vénancourt en catastrophe : « Un homme à la mer ! ». Déjà l’officier a fait mettre la barre dessous en grand pour venir au vent et masquer les voiles, freinant ainsi la course puissante de la corvette. Dès les premiers instants, quelqu’un a eu la présence d’esprit de jeter une bouée de sauvetage à l’eau, tout de suite après, une planche. L’homme qui vient de tomber est un aide-calfat de Brest, Joseph Marie K’verne. K’verne ne sait pas nager.

Les basses voiles ont été carguées, les bonnettes rentrées, un petit canot mis à l’eau avec plusieurs matelots aux avirons. L’Echo louvoie pendant deux heures, mais en vain : les yeux perçants des gabiers dans les vergues et sous les barres de perroquet n’ont rien vu. On a mis en berne le pavillon, un coup de canon a été tiré pour prévenir La Méduse, puis on a remis en route. K’verne le marin breton n’ira pas au Sénégal.

Pendant la journée, l’Aréthuse vue la veille, a navigué de conserve avec la corvette Echo et La Méduse qui filent toutes voiles dehors. Derrière L’Argus et la Loire, impuissants, rapetissent sur l’horizon. En fin d’après midi, le chef de division donne l’ordre de ralliement général et absolu. Les quatre bâtiments du Sénégal sont à nouveau regroupés. L’Aréthuse, elle, continue sa route vers les iles d’Amérique. La Guadeloupe a ravivé de mauvais souvenirs à Reine Schmaltz. Son mari y fut arreté et déféré en France pendant la rebellion des cent jours.

Toutefois, nos témoins ne consignent pas ce rapprochement et semblent même se réjouir de nouveau de voir s’accomplir ce qu’ont prémédité Schmaltz et Chaumareys : La Méduse file laissant le convoi derrière elle. Suive qui pourra… Comme la désintégration volontaire du convoi sera reprochée à Chaumareys lors de son procès, nous citerons encore sur ce point deux autres témoins : d’Anglas et Charlotte.

Le lieutenant du bataillon d’Afrique est net :

« M.de Chaumareys voulut profiter de la supériorité que la frégate avait dans sa marche sur les autres navires. A peine eûmes-nous passé la rade des Basques, qu’il se détacha de sa division et marcha séparément ».

Quant à la jeune fille elle s’émeut en ces termes :

« Seul L’Echo persistait à vouloir nous accompagner comme pour nous guider dans notre route ». Mais sa tournure n’est pas très heureuse puisque la corvette est en arrière.

Les commandants des autres bâtiments consigneront dans  leurs journaux de bord cette note lapidaire : « division sans ordre ».

Anticipons pour préciser dès maintenant que devant le conseil de guerre de Rochefort, Chaumareys répondra de cette désintégration du convoi en révélant que Schmaltz, sans doute déjà fort contrarié par le retard en rade d’Aix lui avait témoigné « un désir extrême de se rendre promptement au Sénégal » et par conséquent il avait jugé «convenable» de laisser La Loire et L’Argus «faire une route indépendante».

Les jurés de Rochefort le jugerons non coupable pour ce chef d’inculpation qu’est la désintégration du convoi.

A quoi bon retenir un Gouverneur et ses fonctionnaires pour attendre des tortues flottantes chargées de matériel et de soldats qui peuvent attendre ?

Régate dauphins...contre frégates

Publié le 24/02/2016 à 15:18 par histoirecotemie Tags : roman mer
Régate dauphins...contre frégates

21 juin 1816 (cinquième jour de navigation) :

 

Le capitaine de l’infanterie coloniale note : «Nous doublâmes le Cap Finisterre avec un vent plus fort mais très bon».

Le géographe Corréard écrit : «Le 21 ou 22 (petite défaillance de mémoire) nous doublâmes le Cap Finistere (petite défaillance d’orthographe). En dehors de cette pointe qui borne le Golfe de Gascogne, la flute La Loire et le brick L’Argus se séparent. Ces navires marchant fort mal, il leur fut impossible de suivre la frégate qui, pour les conserver, aurait été obligée d’amener ses perroquets et ses bonnettes».

Le spectacle qu’offre la joyeuse course, par vent favorable, des vaisseaux de mer «nouvelle génération» Méduse et Aréthuse semble distraire les passagers. Aucun de nos témoins ne désapprouve le fait de s’écarter du convoi… Du moins pas encore.

L’ingénieur Brédif écrit : «Le temps est beau, le vent arrière, ce qui fait que le bâtiment n’est plus sujet qu’aux roulis qui incommodent beaucoup moins que le tangage. Aussi, suis-je bien portant. A onze heures on aperçoit deux ou trois souffleurs à demi-portée de fusil du bâtiment. Ce sont des poissons (sic) fort gros ayant vingt pieds de longueur environ. Ils lancent, en soufflant, de l’eau par les narines en faisant un bruit qu’on entend de loin. Les trois autres vaisseaux nous suivent, la frégate L’Aréthuse est près de nous». L’ingénieur Brédif toujours dans le souci de rivaliser avec le plus aguerri des matelots, pour se faire remarquer  (Eliza pourra le voir), note qu’il est monté au mat d’artimon, que les matelots l’y ont attaché suivant l’usage et qu’il s’en est tiré pour trois francs.

 

La Méduse décide de prendre de l'avance sur son convoi.

Publié le 23/02/2016 à 14:24 par histoirecotemie Tags : jeune amoureux moi roman chez mer france belle nuit bleu neige pouvoir
La Méduse décide de prendre de l'avance sur son convoi.

Le 19 Juin (troisième jour de navigation) :

Voici ce que note le capitaine d’infanterie coloniale, Dupont :

«Beau temps par petite brise». Il précise cependant que la vitesse de la frégate durant la nuit a été de 7 nœuds.

 

L’ingénieur des Mines, Brédif, note quant à lui :

«Le vaisseau a été agité et nous dansions dans nos lits». Les vagues au large des cotes françaises l’impressionnent : « grandes et profondes, elles font disparaitre de temps en temps la corvette qui nous suit ».

Vers midi, le beau temps : « Il fait soleil. La mer est bleu. C’est le bleu de la tranche des glaciers quand le temps est mou, ou celui d’un trou fait dans la neige ou enfin celui du Rhône à Genève ».

Le navire est soumis à un fort balancement d’autant plus que le vent n’est pas assez puissant pour soutenir les voiles qui retombent sur les mats.

«Beaucoup de passagers ont le mal de mer. J’en ressens quelques légères atteintes. Le déjeuner m’a fait passer celle du matin. Je suis invité chez le commandant. Si je puis diner, cela me fera du bien… Je crains de ne le pouvoir ». Le jeune ingénieur fait des efforts car il ne veut surtout pas rater l’occasion de revoir Mademoiselle Eliza qu’il a brièvement rencontrée en visitant le Gouverneur dans son hôtel, quelques jours avant leur embarquement.

«Je dinai chez le commandant, incertain si pouvais garder mon diner. Le mouvement du vaisseau est beaucoup plus grand chez lui. Il me rendait plus malade. Après diner, la promenade que nous fîmes avec ces dames sur le pont, me rétablit et je me couchais mieux». Eliza qui connait la mer devait être  amusée par les crampes d’estomac de son admirateur… et les grimaces qu'il faisait en guise de sourires d'amoureux.

 

Le 20 juin (quatrième jour de navigation) :

Le capitaine Dupont note : « Meme temps, petite brise ».

Le géographe Corréard note : « Brise nord-est mais très faible ».

L’ingénieur des Mines Brédif note : « Le temps est superbe. Nos trois vaisseaux sont en vue. Je n’ai pas, une heure après mon lever, le cœur très rassuré. Le mouvement du vaisseau est cependant moins fort qu’hier. La latitude du lieu où nous étions à midi est : 45°7’ ; la longitude 7°25’. La mer est belle, toujours bleue, brise faible, vent du nord-est. On file deux nœuds et demi. Nous avons une frégate en vue, on suppose que c’est L’Arhétuse ». L’ingénieur qui a du remarquer le vif intérêt que manifestait Eliza pour l’officier en second Reynaud, a du surprendre une conversation où l’officier informait, ce jour là, sa passagère et Brédif a pris soin de noter ces fragments du journal de bord que clamait fièrement son rival dans son carnet pour nous impressionner, vous et moi, par ses connaissances en navigation, lui qui n’a jamais voyagé en mer…

 

Cette rencontre avec L’Aréthuse fait figure d’événement et voici venu le moment de citer Rang, l’aspirant de la Méduse : « Peu après notre départ (nous sommes au quatrième jour quand même), nous fumes rencontrés par la frégate L’Aréthuse qui se rendait à la Guadeloupe et qui, ayant une marche supérieure aux navires de notre suite, nous avait atteints quoiqu’elle fut partie de France après nous. Nous vîmes avec bien de la peine que La Loire et L’Argus avaient une marche bien inférieure à la notre. Comme M. Le Gouverneur désirait arriver promptement au Sénégal, Nous primes le parti de les laisser de l’arrière après être sortis du golfe. On convint de ne pas abandonner L’Echo, vu que sa marche différait peu de la notre et bientôt nous fîmes avec cette corvette route pour Madère. 

Notre aspirant ne saurait être plus clair. Selon lui, c’est de propos délibéré que la Méduse prend de l’avance sur le convoi.

Le capitaine de L’Echo saute sur l’occasion pour faire une belle manœuvre de reconnaissance en haute mer. Après avoir obtenu l’autorisation qu’il a demandée à son Chef de Chaumareys, de reconnaitre le vaisseau qu’il voit sur tribord arrière, Vénancourt se sent l’âme à une échappée. En fait il a ses raisons, car les voiles de L’Aréthuse ont pu être identifiées de loin.  Cette autre frégate, partie de l’Ile d’Aix un jour après la division du Sénégal, se rend aux Antilles. M. Le Gouverneur de la Guadeloupe et ses fonctionnaires se trouvent à bord. Venancourt, le créole de la Martinique, ne saurait manquer l’opportunité de saluer ceux qui font route vers les iles, vers chez lui. S’approchant de la frégate, il manœuvre pour passer sous son vent et faire sa cour au porte-voix. On échange des nouvelles et des encouragements puis l’on se quitte aux cris de « Vive le roi ». Il faut rappeler que le capitaine de Venancourt a été reçu par le roi Louis XVIII quelques jours auparavant pour lui remettre l'épée du chef de la rebellion des cents jours en Guadeloupe...